Les enjeux environnementaux remettent en question nos habitudes de consommation et les modèles économiques qui s'y sont construits. Dans un monde où les industries et la production de biens représentent le secteur le plus consommateur de ressource et le plus émetteur de gaz à effet de serre, peut-on imaginer une croissance économique décorrélée de la dégradation de notre environnement ?
Un contexte environnemental appelant à découpler la création de valeur de la consommation de ressources
L'empreinte carbone moyenne des Français est de 12 tonnes d'équivalent CO2 (tCO2eq) par an, dont près d'un quart provenant de l'achat de biens non-alimentaires. En effet, l'INSEE estime que pour le Français moyen en 2016, ses acquisitions de matériels électroniques, de vêtements, de voitures et d'appareils électroménagers ont émis plus de 2.5 tCO2eq, soit 125% de son budget carbone qui lui permettrait de respecter les objectifs de la COP21 de Paris. Cette consommation - et l'exploitation des ressources associées - représente donc autant un enjeu environnemental qu'économique avec environ 240 milliards d'euros, soit 15% de la consommation des ménages.
De l'achat de biens à la consommation de services : une transition à accélérer
Théorisée par le Club de Rome dès les années 1960, l'économie de la fonctionnalité, ou économie de l’usage, constitue une alternative au modèle économique actuel basé sur la production, la vente et la consommation de biens. Cette alternative consiste à remplacer la possession d'un bien - par exemple un scooter -, par l'usage d'un service - la mobilité. On revient donc à un modèle plus sobre de consommation : on ne consomme pas un scooter mais le service lui permettant de se déplacer d'un point A à un point B.
Christian du Tertre, économiste et président de l'Institut Européen de l'Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération résume ainsi l'objectif de l'économie de la fonctionnalité : "créer la valeur d’usage la plus importante possible tout en consommant le moins de ressources matérielle et énergétique". En conséquence, les acteurs agissant en tant que fournisseurs de services gardent les droits de propriété des biens et sont incités à optimiser les usages et prolonger les cycles de vie associés. Un tel modèle mène donc notamment à la fin des pratiques d'obsolescence programmée et à une création de valeur découplée de la consommation de ressources.
Deux notions clés se trouvent au cœur des démarches d’économie de la fonctionnalité :
- l’approche centrée sur les utilisateurs ;
- la coopération entre acteurs, souvent ancrée sur un territoire.
L’ADEME résume ainsi la manière dont ce type de démarches se déploie :
“Les entreprises et les acteurs des territoires coopèrent pour produire une offre apportant au bénéficiaire des effets positifs grâce à la relation de service. La vente d’une performance d’usage est visée au lieu de la simple vente d’un bien ou d’un service”.
Malheureusement, l'économie de la fonctionnalité reste encore largement méconnue du grand public et donc de la majorité des consommateurs. Interrogés par Circul'R et Appinio, les Français sont 69% à ne connaître ni le concept ni le terme associé, révélant la nécessité de sensibilisation à ces possibilités.
Un modèle utopique ? Au contraire ! Des exemples bien ancrés dans nos sociétés se retrouvent dans de nombreux domaines d’activité, comme Michelin qui vend des kilomètres parcourus plutôt que des pneus ; Xerox et Phillips qui offrent respectivement des services d'impression et la luminosité au sein des bureaux plutôt que des imprimantes et des ampoules ; ou encore les nombreux services de mobilité partagée déjà utilisés par plus de 40% des Français.
Si ces modèles économiques innovants ont prouvé leur efficacité, ils peinent à atteindre un taux de pénétration significatif dans certains secteurs. Ceci peut notamment s’expliquer par des habitudes de consommation bien ancrées dans des secteurs comme l’électroménager et l’habillement, ou encore par la résistance au changement de la part d’acteurs économiques disposant de positions dominantes sur leur marché.
Des bénéfices potentiels multiples
Au-delà des bénéfices environnementaux, ce nouveau modèle ouvre aussi de nouvelles opportunités pour les acteurs économiques et territoriaux concernés. En innovant dans cette directions et en transformant leur modèles économiques, les entreprises pionnières tirent des bénéfices multiples :
- Avantage du précurseur et différentiation sur leur marché
- Croissance par l'innovation dans des secteurs matures
- Augmentation de la valeur des produits par des mécanismes de financement, de reconditionnement, de mises à niveau technique
- Augmentation de la valeur client par l'ajout de fonctionnalités, par la longévité des services
- Renforcement des relations clients et acquisition de données clients via les interactions associées aux services additionnels
- Préservation de la valeur des produits au cours des multiples cycles d'usage
- Conformité et avantage précurseur face aux évolutions réglementaires liées aux responsabilités élargies des producteurs (REP)
Quant aux institutions publiques, qu'elles soient directement impliquées avec les entreprises ou non, elles ont l’opportunité de se positionner comme orchestrateurs de nouveaux modèles vertueux offrant plusieurs bénéfices sociétaux :
- Amélioration des services publics et meilleure adaptabilité aux besoins et usages des citoyens dans de nombreux domaines : habitat, mobilité, alimentation, santé,...
- Préservation des ressources locales grâce aux démarches de mutualisation et de partage
- Développement d’activités économiques liées à la logistique inverse, à la réparation, à l’entretien, au reconditionnement, ou encore au recyclage
- Renforcement de l’ancrage local des acteurs économiques par le développement de la coopération entre acteurs du territoire
- Créations d'emplois associées aux nouveaux services pouvant être plus intenses en main d'oeuvre que dans des modèles de production industriels classiques
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Références pour aller plus loin
Références pour passer à l'action :
Sondage Circul'R x Appinio - Economie de la fonctionnalité research.appinio.com/#/en/survey/public/ZvzQ5UGSc
Ressources de l’association ORÉE consacrées à l’économie de la fonctionnalité (oree.org)
ADEME, Infographie explicative de l’économie de la fonctionnalité http://multimedia.ademe.fr/catalogues/economie-fonctionnalite/
Institut Européen de l’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (IEEFC) http://crepe.ieefc.eu/
Magazine ADEME & VOUS n°106 spécial Économie de la fonctionnalité https://www.economiecirculaire.org/articles/h/ademe-vous-n-106-special-economie-de-fonctionnalite.html
Club économie de la fonctionnalité et développement durable (EF&DD) https://www.club-economie-fonctionnalite.fr/
Références académiques :
G. Gaglio, J. Lauriol, C. du Tertre (dir.), L’économie de la fonctionnalité : une voie nouvelle vers un développement durable ? Octarès Editions, Toulouse, 2011, 167p. https://journals.openedition.org/sds/2105
ADEME, ATEMIS, Patrice VUIDEL, Brigitte PASQUELIN. 2017. Vers une économie de la fonctionnalité à haute valeur environnementale et sociale en 2050. Les dynamiques servicielle et territoriale au cœur du nouveau modèle. Synthèse. 23 pages. https://occitanie.ademe.fr/sites/default/files/rapport-economie-fonctionnalite-haute-valeur-environnementale.pdf
Étude réalisée par Greenflex et l’Institut National de l’Économie Circulaire (INEC) « Comment promouvoir et financer l’économie de la fonctionnalité dans le secteur de la grande consommation ? » http://bit.ly/2QcT5CJ
Références internationales :
O.K Mont, Clarifying the concept of product–service system, Journal of Cleaner Production, Volume 10, Issue 3, 2002, Pages 237-245